Quand un ministre de la Défense rencontre un ministre des Finances, qu’est-ce qu’ils se racontent, des histoires de ministres ? Non des histoires de budget fantôme et d’élections à venir. Il faut dire que Benny Gantz est arrivé au rendez-vous avec en poche un vote préliminaire de la Knesset décidant de sa dissolution, justifié par l’absence de budget pour les années 2020 et 2021, alors que Israël Katz n’avait aucune proposition nouvelle à mettre sur la table.
Dans le même temps, alors qu’Israël est en pleine procédure de déconfinement progressif, les chiffres des personnes contaminées remontent régulièrement et dangereusement depuis une dizaine de jours, ce qui semble justifier de nouvelles décisions pour freiner la progression du virus et éviter un nouveau confinement dû à ce qu’on doit bien désigner comme la « troisième vague ».
Quel rapport entre ces deux situations, me direz-vous ? En apparence aucun, sauf que, comme disent tous les commentateurs politiques, le gouvernement d’union a été mis en place pour lutter contre la pandémie et que les arrières pensées politiques ont finalement pris le dessus sur la réalité de la situation. L’objectif final de Netanyahou est en fait de garder le plus longtemps possible sa seule épée de Damoclès au-dessus de la tête de Gantz en retardant au maximum le moment où sera proposé le budget de l’Etat.
En ligne de mire de cette stratégie pour Netanyahou, deux objectifs qui se résument en fait à un seul : conserver le plus longtemps possible le poste de Premier Ministre et donc, remettre en cause, en octobre 2021, le système de rotation qui verrait Benny Gantz prendre sa place pour diriger le gouvernement.
L’hypothèse de base du Premier Ministre actuel est de pouvoir en permanence contrôler la situation, pour être en position de force lorsque son procès débutera vraiment. Comment réaliser cet objectif ? Tout d’abord, s’accrocher coûte que coûte à son poste, jour après jour, minute après minute, décision après décision et il ne peut le faire qu’en décidant lui-même de tout, en fonction de son intérêt principal. D’où, par exemple, les blocages pour la nomination des hauts fonctionnaires de la Police et de la Justice. Ensuite, en neutralisant ses adversaires politiques et en maîtrisant seul le calendrier politique du pays, même si cela va à l’encontre des intérêts de la Nation, comme par exemple paralyser les ministères en décidant de ne pas présenter de budget.
Bref, il essaie de se rendre indispensable pour régler le moindre détail du pays. Et puisqu’aujourd’hui la position de Netanyahou semble plus fragile sur le plan de la confiance des israéliens, comme l’indiquent les derniers sondages, il doit avant tout repousser le plus loin possible la tenue des prochaines élections, ce qui lui donnera du temps pour redorer son blason et, dans la lutte contre le virus, commencer éventuellement à obtenir des résultats par la vaccination.
En attendant, la situation du pays se dégrade et des décisions essentielles ne sont pas prises. Les pauvres sont encore plus pauvres et sont maintenant de plus en plus nombreux et Netanyahou ne s’en préoccupe guère, tout d’abord parce que son ADN politique est programmé pour ne pas s’occuper de la pauvreté et ensuite parce que cela ne nuit pas à son image de « grand économiste » libéral qui se soucie peu du fonctionnement du service public. Ce pays souffre du manque d’hôpitaux, de médecins et personnel de santé, de manque de soutien social aux familles en difficulté, d’un taux de chômage qui restera longtemps élevé, d’une quasi paralysie des ministères qui, par manque de budget ne peuvent faire des prévisions ou des programmes à long terme et maintenant d’une quasi paralysie politique de par la volonté d’un seul homme d’être omniprésent sur certains sujets et totalement absent sur d’autres.
Alors, c’est vrai, le moment pour le pays n’est pas propice à des élections, mais jusqu’à quand doit-on accepter ce mode de direction dont la seule préoccupation est l’intérêt personnel de Monsieur Netanyahou. L’intérêt du pays doit redevenir la préoccupation centrale de tous les dirigeants politiques.
S’il n’y a pas de déblocage politique dans les prochains jours, Gantz fera tout pour aller aux élections le plus rapidement possible puisqu’il s’en est donné les moyens à la Knesset et Netanyahou ne pourra rien y faire, s’il ne cède pas sur certaines de ses positions.
La parole sera à nouveau donnée au peuple qui devra décider si on peut encore supporter les méthodes du Premier Ministre. Il en va également de la responsabilité de certains dirigeants de partis politiques et, en particulier des responsables du Likoud qui acceptent toutes les décisions de leur leader sans broncher. La vocation première d’un élu, du plus petit conseiller municipal au ministre est pourtant de servir le peuple et ses intérêts.
Quand ces élus se poseront-ils la question ?
Ils devraient le faire rapidement car le jour viendra où Netanyahou, d’une façon ou d’une autre perdra le pouvoir et à ce moment-là les langues se délieront en rendant public, les neuf dixièmes de l’iceberg de la méthode Netanyahou. C’est à ce moment-là qu’ils devront rendre des comptes pour avoir accepté cela sans rien faire…
Claude LEVY