Oui, c’est bien la sirène qui retentit et l’alerte nous prend par surprise, dans notre sommeil, à un peu plus d’une heure du matin. Il nous faut 10 secondes pour nous réveiller, réaliser et réagir. Et nous voilà déjà dans la pièce hermétique, à équiper notre fille de sa combinaison étanche et à recouvrir la porte d’entrée de son manteau de plastique…
Soudain, alors que je sors mon masque à gaz de sa boîte, je m’aperçois que nous n’avons pas pris la radio avec nous. Nous retirons le plastique de la porte et je fonce vers la salle à manger et m’empare de la radio posée sur la table. C’est à ce moment précis que j’ai entendu la première explosion, la première explosion de ma première guerre en Israël et je peux dire que ça vous glace les os !
Je suis là, paralysé, devant la table, la radio à la main et l’avertissement souvent entendu à la radio me revient à l’esprit : « Si vous entendez une explosion, vous aurez alors 15 secondes pour vous enfermer dans la chambre et vous équiper du masque à gaz… »
La seconde d’après je lance ma course contre la montre, regagne la chambre, ferme la porte et ma femme calfeutre le bas de la porte avec une serviette sur laquelle elle répand un liquide.
Je finis de placer mon masque dans la précipitation, alors que plusieurs gros boums retentissent au loin, de façon sourde mais bien audible. On allume la radio, mais il n’y a rien, on cherche la bonne station, mais rien.
Je vérifie l’équipement de ma fille, toujours dans son lit et je m’assure que le scotch entourant la porte soit bien collé. Et c’est là que je m’aperçois que la serviette bleue, placée en bas de la porte et recouverte de plastique, vire au blanc. Nous aurons l’explication plus tard, quand le calme sera revenu. Au lieu de verser l’eau de javel dans le sceau d’eau, puis d’asperger la serviette avec ce mélange, nous avons brûlé une étape dans la précipitation en aspergeant la serviette directement avec l’eau de javel…
Et la radio qui est toujours silencieuse, et j’ai du mal à respirer, et le masque me fait mal et le silence s’installe, qui devient presqu’aussi lourd et stressant que le bruit des explosions.
C’est alors que je comprends pourquoi le masque me torture la face… J’ai simplement oublié d’enlever mes lunettes, qui me compressent le nez et les joues…
Pas de nouvelles de la radio qui pourtant vient d’émettre un son. Ce ne sont pas des informations, mais un simple programme musical, sans présentateur, sans un commentaire, juste une succession de chansons douces, alors que l’on veut savoir ce qui s’est passé, si c’est une attaque chimique, s’il faut garder ou enlever les masques à gaz, s’il y a des victimes, des dégâts.
C’est le téléphone qui nous sort de notre silence angoissé. Il sonne, il faut répondre. Le seul problème, c’est que le téléphone est dans le salon et que nous sommes confinés (déjà 30 ans plus tôt), dans la chambre, sans pouvoir sortir. N’oublions pas qu’à l’époque, le portable n’existait pas…
Le temps passe, on espère toujours qu’une voix rassurante viendra remplacer les chansons douces de la radio. Cela fait tout de même plus d’une heure qu’on est enfermé, alors que la vérification d’une possible attaque chimique ne devait pas prendre plus d’une demi-heure.
Et le téléphone qui se remet à sonner. Nous apprendrons plus tard que ce sont les amis et la famille qui voulaient être rassurés et savoir ce qui se passait, car le monde savait, en direct, grâce aux chaînes d’information américaines, qu’Israël avait été attaqué par les SCUD irakiens…
Près de deux heures après la sirène, enfin la radio se met à diffuser quelques messages et finit par annoncer que l’attaque est terminée et que nous pouvons retirer les masques, tout en restant, jusqu’à nouvel ordre dans les chambres étanches.
Enfin, nous recevons l’autorisation de sortir des chambres. Il est trois heures du matin, nous n’avons plus envie de dormir, nous sommes encore sous adrénaline et un peu abattus car nous nous sommes sentis abandonnés, livrés à nous-mêmes, sans information à la radio, sans directives pendant deux heures.
Nous commençons à tirer les premiers enseignements de cette expérience toute fraîche encore. Un fou-rire pour la serviette « javélisée » ou les lunettes sous le masque, une réflexion pour le téléphone pour l’amener jusqu’à la chambre, ce que nous devrons acheter et stocker dans la chambre (piles, lampes, quelques denrées…).
Voilà, c’était notre première attaque. Mais bien vite, les choses ont changé. Les attaques suivantes ont été mieux appréhendées, la radio fonctionnait, le téléphone était dans la chambre, la télévision a aussi progressivement adaptée pour annoncer les attaques, les consignes étaient précises et le pays fut divisé en régions, chaque région recevant ses propres consignes, pour ne pas confiner tout le pays lorsque la seule ville de Haïfa était attaquée.
Nous avons appris à reconnaître les sons nouveaux, les explosions de SCUD, celles des missiles Patriot américains, le « Dôme de fer » de l’époque, les messages d’alerte précédés du fameux « Nahash Tséfa, Nahash Tséfa », puis les tours de gardes des parents dans les crèches et écoles maternelles, le masque toujours à portée de mains dans sa boîte en carton marron…
Et puis, nous avons connu à ce moment-là, notre première expérience du confinement… Vingt-neuf ans avant le coronavirus….